
Élaboration du Single Malt Scotch Whisky : La tourbe - De la tradition à la science - Guide expert
La tourbe est l'émanation d'un processus séculaire : une matière organique résultant de la lente décomposition de végétaux (herbes, mousses, bruyères, etc.), extraite dans des tourbières (zones marécageuses). Cette accumulation atteint un taux infime, de l'ordre d'un millimètre par an.
Son introduction dans les fours lors du séchage de l'orge maltée est le procédé qui confère aux spiritueux des arômes singuliers, allant de notes herbacées et boisées à un caractère fortement fumé. L'île d'Islay a, par excellence, érigé cette pratique au rang de marque de fabrique.
la tourbe en écosse : géologie, composition et enjeux de l'approvisionnement durable
La tourbe ne constitue pas un sol géologique au sens strict, mais une accumulation de déchets organiques. Les Highlands d’Écosse abritent de vastes tourbières, dont la profondeur atteint parfois plusieurs mètres, le résultat de milliers d’années de décomposition végétale en milieu saturé d'eau, acide et hypoxique.
Formation et enjeux écologiques : Stockage carbone et fragilité de la ressource
La tourbe est une ressource stratégique dont la conservation est soumise à des impératifs environnementaux majeurs.
Le processus de décomposition organique de la tourbe et son rôle écologique
La formation de la tourbe est un processus lent et précis, le résultat de la décomposition de végétaux dans des milieux acides, saturés d'eau et pauvres en oxygène. D'un point de vue écologique, elle joue un rôle essentiel dans le stockage du carbone.
Impact carbone de l'extraction de la tourbe et La responsabilité de l'industrie du whisky
La préservation de cette ressource fragile et non-renouvelable est un enjeu majeur, car son exploitation libère de grandes quantités de dioxyde de carbone.
Cependant, l'industrie du whisky n'est responsable que d’environ 4% des extractions totales du pays, soit un volume estimé à 30 000 mètres cubes. Le reste est majoritairement imputé à l'horticulture.
Matériau historique : Utilisation culturelle, combustible et conversion en vecteur aromatique
Historiquement, la tourbe a été un élément central dans la culture écossaise, utilisée pour la construction de maisons, la fertilisation des plantations, et surtout comme combustible pour le chauffage.
La tourbe, Un combustible de qualité et une nécessité de l'utiliser au quotidien
Le pays étant relativement pauvre en arbres dans certaines régions, les populations séchaient des briques de tourbe afin de s’en servir comme combustible. La tourbe a l’avantage de pouvoir brûler pendant des heures.
La contrainte de la fumée, convertie en atout industriel distinctif
Son inconvénient domestique majeur est la quantité substantielle de fumée qu'elle génère. C'est précisément sur cette signature fumée que capitalisent les distilleries, car c’est cette fumée qui confère le goût distinctif aux whiskies tourbés.
Approvisionnement stratégique : Sourcing géographique, récolte et distinctions organoleptiques
La tourbe est récoltée dès la fin du printemps et jusqu’à la fin de l’été. L'extraction est aujourd’hui pratiquée par une poignée de distilleries seulement.
Les régions d'extraction : Islay, Orcades et tourbières de plaine
La pratique de la récolte est localisée, notamment sur l’île d’Islay et dans l’archipel des Orcades. Sur l'île d'Islay, on récolte environ 2 000 tonnes de tourbe annuellement. Seuls certains types de tourbières sont exploitables pour l'industrie du Whisky : les tourbières bombées de plaine, qui recouvrent 2 500 hectares en Écosse.
Distinction organoleptique : Profils salins, floraux ou médicinaux
La tourbe continentale et celle des îles diffèrent en composition. On observe des variations d'arômes notables entre les îles elles-mêmes : la tourbe des Orcades est plutôt florale, tandis que celle d'Islay est réputée plus médicinale et saline.


le touraillage : mécanisme d'imprégnation, fours traditionnels et adaptation industrielle
C’est durant l’étape du séchage/touraillage (Kilning), la dernière phase du processus de maltage, que la tourbe (Peat) entre en action.
Mécanisme : Fumée, composés phénoliques et rôle de l'écorce dans la fixation aromatique
L'objectif est de provoquer la combustion de la tourbe pour générer une fumée épaisse, chargée en composés phénoliques, afin qu'elle imprègne l'orge maltée encore humide (le malt vert).
Contrôle du touraillage : Durée et température de l'enfumage
La durée, la température et l’intensité de l’enfumage des fours sont précisément contrôlées. Cela permet d’adapter la teneur en tourbe du malt en fonction des besoins de chaque distillerie.
Le rôle de l'écorce (Husk) dans la fixation des arômes de tourbe
L'essentiel des arômes de tourbe est contenu dans l’écorce (Husk) des grains. Le Grist (mouture) se composant de 70% de mouture, 10% de farine (Flour) et 20% d’écorce (Husk), certaines distilleries ajustent la proportion d’écorce pour accentuer les arômes de tourbe.
Les fours traditionnels (Kilns) : Architecture, succession des combustibles et taux d'humidité
Historiquement, les distilleries étaient équipées de Kilns (fours) traditionnels.
Architecture des Kilns traditionnels et combustibles de l'ère pré-industrielle
Ces Kilns traditionnels étaient composés d’un plancher métallique perforé sur lequel le malt vert était disposé, surmontés d’une cheminée en forme de pagode (certaines sont encore visibles mais sont le plus souvent décoratives).
Le feu était alimenté par une combinaison de tourbe, de charbon et de coke (résidu de carbone obtenu par pyrolyse du charbon).
L'alternance des combustibles : Séchage final, taux d'Humidité et basculement industriel
Lorsque le malt atteint un taux d’humidité compris entre 25% et 45%, un autre combustible prend le relais pour achever le séchage. Le malt doit redescendre à un taux d’humidité de 4% à 6% avant d’être stocké. Aujourd'hui, on utilise des fours industriels au fuel ou au gaz naturel, mais la tourbe est toujours utilisée pour le goût.
Adaptation industrielle : Mécanisation, contrôle thermique et préservation de l'intégrité enzymatique
Mécanisation et précision thermique : Préservation de l'Intégrité Enzymatique
Avant l’ère industrielle, les fours traditionnels étaient souvent alimentés en tourbe, conférant naturellement un caractère fumé à tous les whiskies.
Aujourd'hui, les fours industriels garantissent une meilleure constance et un contrôle précis des températures (variant de 50°C ) 100°C, avec une moyenne de 80°C) afin de préserver l’intégrité des enzymes du malt.
Pérennisation du Profil aromatique : Rôle essentiel de la tourbe dans les processus modernes
Malgré l'utilisation de fuel ou gaz naturel pour la chauffe primaire, la tourbe demeure essentielle pour certaines distilleries. Elle est encore utilisée dans ces processus industriels modernes pour conférer le profil aromatique caractéristique aux whiskies tourbés.
Tourbière
La tourbe est le résultat de milliers d'années de décomposition de végétaux.
Single Malts tourbés : Mesure scientifique (ppm), chimie des phénols et typologie aromatique
Après avoir été un profil en voie d'extinction suite à l'industrialisation, le whisky tourbé connaît aujourd'hui une popularité sans précédent, particulièrement en France.
La quantification : Mesure du niveau de tourbe (PPM) et altération post-maltage
La concentration de tourbe dans le malt et le Whisky s'exprime en "parties phénoliques par million" (PPM).
Étalonnage des concentrations : De 3 PPM à 200 PPM
La grande majorité des whiskies non tourbés ou très peu tourbés se situe entre 0 PPP et 3 PPM. Les whiskies tourbés "classiques" se positionnent entre 20 PPM et 40 PPM. Les expressions les plus extrêmes, comme la marque Octomore de Bruichladdich, peuvent excéder 200 PPM.
L'altération du PPM post-maltage : Les étapes de la distillation et de la maturation
Il est crucial de préciser que la mesure du PPM est généralement effectuée au stade du maltage. Les étapes de production ultérieures, incluant la distillation et la maturation, peuvent altérer de manière significative ce niveau phénolique. Par conséquent, deux whiskies affichant le même PPM au maltage n'auront probablement pas le même niveau de tourbe une fois embouteillés.
Chimie aromatique : Classification, marqueurs moléculaires et traduction organoleptique
Les composés phénoliques issus de la combustion sont les uniques responsables des arômes fumés. Ces molécules se déclinent en huit groupes distincts.
Les marqueurs moléculaires : Gaïacol, Phénol et Créosol
Les trois principaux groupes sont :
> Le gaïacol : Notes médicamenteuses, fumées et terreuses.
> Le phénol : Arômes fortement médicamenteux.
> Le créosol : Arômes de goudron et d'asphalte.
Traduction organoleptique et cas des whiskies puissants
Cet assemblage moléculaire se traduit, pour les whiskies tourbés classiques, par des notes de réglisse, de fumée, de camphre ou de clou de girofle. Les expressions les plus puissantes présentent des arômes de poisson fumé.
Typologie organoleptique : Familles d'arômes du fumé et synergie déterminante avec la maturation
Il est impératif de souligner qu'il n'existe pas un profil unique de whisky tourbé. La maturation (types de fûts, temps de vieillissement) exerce une influence substantielle sur la perception des arômes.
Synergie avec la maturation : Atténuation ou amplification de l'effet tourbé
La nature du fût de chêne (ex : ex-Bourbon, ex-Sherry) et la durée de vieillissement sont des facteurs déterminants qui peuvent amplifier, atténuer ou transformer la perception des notes phénoliques initiales.
Palette aromatique de la tourbe : Les cinq grandes familles d'arômes
Malgré cette complexité, la palette aromatique liée à la tourbe peut être catégorisée en cinq grandes familles organoleptiques:
> Le brûlé : cendre de charbon, charbon ardent, suie.
> L'herbacé : thé, mousse brûlée, herbes aromatiques.
> Le boisé : racines humides, braises de feu de camp, fumée de bois.
> Le salé : poisson fumé, viande grillée au BBQ, bacon fumé.
> Le médicinal : salin, sparadrap, créosote (huiles de goudron).











